Jérémie, Paméla et Éric

Présentation du blogue

Nous sommes deux finissants du profil Lettres du cégep Marie-Victorin, Éric Veilleux et Paméla Brossard Déraspe, et ce blogue, qui prendra la forme de carnets de voyage, rend compte de notre expérience au Maroc, dans le cadre d'un voyage d'immersion culturelle. Au cours du dernier trimestre, nous avons étudié en profondeur l'oeuvre de l 'écrivain marocain Tahar Ben Jelloun et avons créé un dossier complet ( http://lettres.collegemv.qc.ca/?page_id=24). Dans le blogue, vous lirez nos textes qui raconteront non seulement notre première expérience au Maroc, mais aussi notre première expérience de voyageurs, guidés par un de nos professeurs de Lettres, Jérémie Lévesque, qui nous accompagne. Nos textes, inspirés par l'instant, la découverte et l'imaginaire, feront écho à notre lecture des romans de Tahar Ben jelloum, et particulièrement ses romans qui ont pour décor Fès, Tanger, Marrakesh.

dimanche 13 juin 2010

Rester

Alejandro Barrada étouffait à Tarifa, une petite ville côtière du sud de l’Espagne.
À 17 ans, il mit donc au point un plan afin de disparaitre à jamais. Les membres de sa famille ne devaient pas être au courant de ses projets, car jamais ils n’auraient accepté le départ d’un des leurs. Néanmoins, personne, ni même sa mère, n’aurait pu faire renoncer le jeune Barrada à cet exil.

Ce départ, il le méditait, le retournait chaque soir dans son esprit depuis des mois. Ses pensées tournées vers le sud de son pays, et des images de l’océan plein la tête, l’adolescent fantasmait sur les terres voisines du Maroc, pays d’un père mystérieux qu’il n’a jamais connu.

Durant son enfance, la mère avait bien sûr pris soin d’élever l’enfant dans la plus parfaite ignorance des origines de son père. Mais puisque l’on sait pertinemment qu’un sujet que l’on tait et qui revêt le mystère du tabou devient, par compensation, triplement plus vivant et vif dans la pensée. Nul va sans dire que le jeune Barrada se questionna très peu avant de désobéir à sa mère, et de prendre lui-même les initiatives qui le conduiraient  dans la quête de ses racines.

Au sujet du Maroc et du Maghreb, du monde arabe et de l’Orient, il lu tout ce qu’il pu trouver, écouta toutes les histoires qu’il pu entendre. Très vite, le cœur et l’imaginaire du jeune espagnol furent remplis de scènes de souks, de périples fantastiques à travers les dunes du désert, d’images de voiles, de tapis, de mosaïques et de motifs d’arabesques. En se concentrant et en fermant les yeux, Alejandro avait l’impression de pouvoir sentir l’odeur du cumin, du safran, du curcuma, du mkalli …

Il connaissait très bien ces odeurs car, bien que sa mère n’utilisait jamais ces épices, il s'était une fois rendu chez un marchand de la ville voisine afin de se familiariser avec ces parfums gourmands et exotiques.

Chaque vendredi soir, lorsque la mère d’Alejandro s’absentait quelques heures pour aller rejoindre son groupe de lecture, le jeune homme en profitait alors pour se rendre en vitesse sur la plus haute colline de la ville. Seul, perché à des centaines de mètres au dessus du sol, il surplombait l’immensité du détroit de Gibraltar, ainsi, qu’au loin, la forme vague et brumeuse des côtes marocaines.

Pendant ces courts moments bénis (car Alejandro n’avait pas beaucoup de temps avant le retour de sa mère), l’adolescent ne quittait pas des yeux cet idéal lointain, cette patrie où il se savait attendu et souhaité.  Rapidement, son plus grand rêve était d’atteindre Tanger, et d’avoir  un commerce extraordinaire où l’on retrouverait herbes, épices, huiles et autres produits naturels. Il n’avait aucune difficulté à s’imaginer dans cette vie, remplie de rencontres chaleureuses et d’échanges agréables, loin du rythme effréné de son pays, des exigences professionnelles de sa mère, de la société.

Toujours, lorsqu’il quittait la colline pour rentrer chez lui, Alejandro avait une pensée singulière qui lui traversait l’esprit : “ Peut-être y a-t-il, perchée sur les côtes de Tanger, une personne aux pensées voyageuses qui, comme moi, convoite avec envie l’horizon lointain. ”. Mais aussitôt, il se trouvait ridicule de songer qu’on puisse vouloir traverser de son côté, alors que lui ne souhaitait qu’atteindre l’autre.

À 18 ans, lorsqu’il se décida de mettre à exécution son plan, il ne dit rien à personne, ne laissa qu’une note brève à sa mère, et pris le large à bord d’un petit traversier peu bondé. Téméraire, il n’avait pas peur. Jamais il n’avait été aussi fébrile, aussi excité.

Le temps passa, et Alejandro Barrada redoubla d’ardeur afin d’ouvrir, comme il l’avait toujours souhaité, son petit commerce d’herbes et d’épices. Il fut heureux, un temps. Puis les choses se bousculèrent dans son esprit.

Jamais il n’avait envisagé la faim, la saleté, les tabous, la corruption, la tromperie. Il eut beau essayer, il ne pu lier l’imaginaire au réel, l’orient mythique aux brutalités des exigences quotidiennes, le souhaité à l’acquis. Cette ville qui vendait son plus beau visage aux touristes, n’avait plus rien à offrir à ses habitants.

Alejandro s’était heurté à un mur de sable. À son contact, tout son être s’était effrité et fut englouti par cette masse sèche et aride. Il eut des regrets, pensa souvent revenir, mais la honte était trop forte. Jamais il n’aurait pu faire face à sa mère, et affronter encore le doigt accusateur et le visage moqueur de Tarifa.

Il préféra rester.

Voilà pourquoi Tanger est plein de gens qui trainent dans les rues, des gens à qui ont a promis un grand voyage et qui se retrouvent sans rien, la tête remplie de sable, les mains vides et l’âme en loques.[1]







[1][1] Tahar BEN JELLOUN. La nuit de l’erreur, Éditions du Seuil, 1997, p.124.




PAR PAMÉLA

4 commentaires:

  1. bonjour pamela je suis contente davoir de tes nouvelles je trouve que vos commentaires sont de plus en plus detailles et interressants on a l impression d y etres dans ce grand et beau pays qu est le maroc notre curiosite a hate au prochain commentaire mamie qui a deja hate a dimanche prochain je taime et te donne de million de petits callins pour continue ton merveilleux voyage

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  2. Bonjour aux voyageurs,

    Je n'ai pas eu le temps de vous lire jusqu'à présent, aussi je découvre petit à petit vos textes... J'y reviendrai dans les prochains jours. Mais je me réjouis de voir que vous semblez vivre un voyage riche et stimulant. Continuez à écrire!

    Geneviève-la-coordonatrice

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  3. Salut!

    Voilà notamment pourquoi j'aime la littérature... parce qu'elle est là, vivante, si près de nous... même à des milliers de kilomètres d'où je suis, elle me transporte là où vous êtes...

    Vraiment, c'est un plaisir de vous lire...

    Stéphane X.

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  4. Merci à vous tous de participer et de nous lire. Vous n'avez pas idée à quel point vous nous faites du bien!
    Nous aurions aimé échanger plus souvent avec vous, mais nos connections internet ne sont pas excellent. Mais continuez! Vous nous faites chaud au coeur!
    Éric

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