Jérémie, Paméla et Éric

Présentation du blogue

Nous sommes deux finissants du profil Lettres du cégep Marie-Victorin, Éric Veilleux et Paméla Brossard Déraspe, et ce blogue, qui prendra la forme de carnets de voyage, rend compte de notre expérience au Maroc, dans le cadre d'un voyage d'immersion culturelle. Au cours du dernier trimestre, nous avons étudié en profondeur l'oeuvre de l 'écrivain marocain Tahar Ben Jelloun et avons créé un dossier complet ( http://lettres.collegemv.qc.ca/?page_id=24). Dans le blogue, vous lirez nos textes qui raconteront non seulement notre première expérience au Maroc, mais aussi notre première expérience de voyageurs, guidés par un de nos professeurs de Lettres, Jérémie Lévesque, qui nous accompagne. Nos textes, inspirés par l'instant, la découverte et l'imaginaire, feront écho à notre lecture des romans de Tahar Ben jelloum, et particulièrement ses romans qui ont pour décor Fès, Tanger, Marrakesh.

jeudi 24 juin 2010

D’un désert à l’autre

« De si loin que l’on revienne, ce n’est jamais que de soi-même. » -- Tahar Ben Jelloun

Il est presque dix heures du matin. Je viens de terminer ma dernière bouteille de vin.
Nous sommes revenus hier soir. L’arrivée aux douanes canadiennes enlève catégoriquement le goût de revenir au pays.

Malgré le brusque retour au quotidien québécois, je ne peux qu’être ému d’avoir fait un tel voyage.

Quelle expérience ce fut!

Ne me demandez pas quelle est ma ville préférée parmi celles que nous avons visitées. Je suis certain que mes deux compagnons vont être d’accord pour dire qu’elles sont toutes magnifiques – excepté Marrakech! N’allez pas à Marrakech! Allez plutôt visiter le Maroc authentique, qui n’a pas vendu sa part de tradition au profit d’une modernité touristique un peu fausse : la médina de Fès et ses maux de tête, Tanger et l’air frais de la mer, Moulay Idris et sa chaleur humaine, Volubilis et sa sagesse historique, Casablanca et son chaos. Allez au Maroc pour goûter les épices et boire le jus d’orange! Quel délice!

Quelle expérience!

Et quel peuple accueillant!

Mais ce qui est intéressant de remarquer, c’est qu’ils savent apprécier les petits services banals. Sourire aux lèvres, ils vous regardent dans les yeux – d’un regard direct peu commun au Québec – et dévoilent un visage ému. Ils penchent légèrement la tête vers l’avant en signe de salutation, placent la main droite sur le cœur et vous remercient.

C’est l’amour qui va droit au cœur!

Au-delà du tourisme et de l’économie, la majorité des Marocains savent reconnaitre, apprécier et donner l’amour. Même lorsqu’ils négocient, il est question d’amour et d’échange; celui d’un amour universel qu’on offre à l’autre.

Toute ma vie, j’ai recherché des gens pouvant apprécier et recevoir l’amour sans se gêner pour l’exprimer. Étrangement, c’est en tant qu’inconnu dans un autre pays que je les ai trouvés. La Terre est si petite. Instinctivement, j’ai toujours cru que l’individu dépend de son contexte sociohistorique. Maintenant, je le crois plus que jamais.

Ce voyage a été une bénédiction pour moi et m’a beaucoup soulagé! Il y a longtemps que je n’avais pas laissé exprimer cette humanité étouffée en moi, obstruée par la déception.

À présent, je m’enfouis à nouveau dans le quotidien. Cela s’est amorcé à l’aéroport de Paris, lorsque j’ai entendu une voix étrangère dire « St’é-CŒUR-ant! » avec un fort accent québécois.

Et maintenant, je suis de retour. Je n’arrive pas à croire que je suis sorti du désert pour aboutir dans un « spleen village » de la Rive-Sud de Montréal.

Je n’arrive pas à croire qu’un monde vibre à l’autre bout de l’océan alors que je n’y suis pas.

Je n’arrive pas à croire qu’après-demain, je vais enfiler un uniforme d’ouvrier et un casque de construction pour suer dans une usine, travailler douze heures par jour ou par nuit, n’être rien d’autre qu’une simple étape de plus sur la ligne de production d’une usine; que je serai de la chaire à production; et que je sentirai se développer mon mal de dos qui s’accentue d’été en été.

Je me souviens lors de notre première nuit à Casa. J’avais très mal dormi en raison de ma douleur au dos. Le lendemain, ce mal a disparu. Et il n’est plus revenu… jusqu’au retour du désert. C’est que je sentais la fin du voyage approcher. J’ai mal au dos depuis. Je sens le mal du quotidien me grimper le long de colonne vertébrale, et pourrir mon cerveau. J’entends déjà le réveille-matin. Je me vois déjà au travers des gens pressés sur les rues.

Je me souviens de ce proverbe berbère que j’ai cité dans un autre texte : « Les gens pressés sont déjà morts. » Ce sont les mots de sagesse prononcés par ce cher Abdul, notre guide.

C’est notre monde.

Ici, je ne vois plus que la télévision et ses nombreuses chaines, qui ont enfanté une génération d’enragés qui zappent leur vie sur le petit écran. La poutine dans un gigantesque « M » jaune. Le smog. Le bruit des voitures modifiées et ultraperformantes. La masturbation et la pornographie sur Internet. Les bars de nuit avec la faune qu’elle abrite : des yuppies et des pouffiasses qui recherchent une baise à usage unique. L’alcool à profusion, les soirs de beuverie et avec eux la course aux dépanneurs avant 23 h.

La pollution lumineuse et les nuits sans étoiles. Les passants qui vous ignorent dans les rues. Les gens qui, dans une conversation, sont plus préoccupés par leur égo que par l’échange et par le souci d’une conversation engagée, tant sur le plan sentimental que social.

Ici, le silence me semble artificiel : il faut fermer sa gueule, car les gens ne savent pas discuter, ni écouter. C’est le règne de l’individualisme de la déshumanisation et du cynisme.

La déshumanisation et le cynisme…
C’est ça notre désert : un désert abyssal.

Lorsque j’étais gamin et que j’habitais Saint-Henri, j’étais toujours ému par les paysages : une rue déserte; le panneau publicitaire d’un dépanneur éclairant la nuit; la vue lointaine du Mont-Royal qui survolait le quartier. Je rêvais de pouvoir me fondre au paysage pour devenir le paysage même.

Mais maintenant – après le Maroc et ses palmiers, ses arabesques, son mont Atlas, son désert – j’ai envie de mordre le paysage. De le croquer. De le goûter. De l’avaler.

D’être un géant pour pouvoir me rouler sur les collines et sur les arbres.
De pouvoir goûter une partie de l’intemporalité que ma condition d’être humain ne me permet pas.
Je voudrais être une falaise qui s’écroule et couvrir pendant des siècles un lieu qui deviendrait secret et oublié.
Je voudrais être le trou noir d’une caverne située dans les hauteurs des monts Atlas.
Je voudrais être une plume qui traverse le ciel en accompagnant l’aile d’un oiseau.
Je voudrais être un nuage qui flotte entre la Terre et l’infini, qui nourrirait l’imagination d’un enfant et qui laisserait tomber sa pluie sur tous les pays du globe.
Je voudrais être une goutte de pluie acide qui ravage une rare feuille verte d’une ville industrielle et laisser la terre vaincue et dévastée.
Je voudrais être le projectile d’une arme à feu qui pénètre le crâne d’un panda et être le dernier témoin de tous les animaux disparus et en voie de disparaitre pour des causes non naturelles, mais artificielles.
Je voudrais être une étendue d’eau polluée qui s’évapore pour retourner vers les nuages.
Je voudrais être un nuage sombre contenant l’eau colérique et déverser toute ma rage sur le sommet des plus hautes montagnes.
Je voudrais être une falaise qui s’écroule sous un oiseau qui reprend son envolée… et recommencer éternellement…

Par Éric

Bilan de voyage

Je suis de retour à Montréal, mais mon cœur bat encore au rythme de Casablanca, et des autres villes du Maroc que nous avons visitées. Mon corps se rebelle, il m’en veut. Il lutte contre le sommeil en plein jour, s’éveille en pleine nuit, plein d’énergie et prêt à sortir arpenter une ville inconnue.

Le matin, mon corps demande le pain berbère, les crêpes bien grasses et de la confiture, les viennoiseries, le panaché et le café au lait. Pendant la journée, il quémande du jus d’orange fraichement pressé et du thé à la menthe. Le soir venu, il s’étonne que je n’aie plus recours à mon habituel menu de survie au royaume des épices : le poulet et les frites, moi qui ne raffole pas des épices utilisées par les Marocains dans la nourriture.
Mon esprit fait également des siennes. Il est triste, nostalgique, distrait. Il ne comprend pas. Tout est allé beaucoup trop vite pour lui. Il accapare presque chacune de mes pensées à essayer de se rappeler les moindres détails. La voix du vendeur à la tannerie, le premier petit déjeuner à Casablanca lorsqu’il manquait du pain, la couleur orange des banquettes dans les trains, la soirée au restaurant italien lorsqu’Éric échappa toute sa monnaie par terre, la chanson Hello de Lionel Richie entendue dans un resto vide de Casablanca pendant une conversation sur le Bouddhisme, et j’en passe, et j’en passe, et, etc. En 16 jours, je réalise que nous avons passé beaucoup de temps à manger et dans les restaurants. Bien entendu, ces moments font aussi partie de notre immersion culturelle.

Jamais je n’aurais pu me douter que mon retour à Montréal serait accompagné d’un sentiment d’aliénation si fort. À dire vrai, j’ai l’impression d’être encore en voyage. Cette fois, chez une famille québécoise traditionnelle, chez mes grands-parents. J’observe leurs habitudes, leur mode de vie, leur chaleur, leur bienveillance, leur nourriture. Je ne peux m’empêcher de poser le même regard observateur sur eux que celui que j’adoptais en voyage.

À l’aéroport, leur accueil et celui de ma mère furent festifs et remplis d’amour. Et il fut agréablement étrange de constater qu’ils en savaient presque autant que moi sur mon voyage. Bien sûr, ils avaient lu le blogue chaque jour avec attention.

Bien que je croyais déjà très bien savoir que Montréal ou que le Québec, ou même que l’Amérique du Nord n’est pas le centre du monde, j’en prends maintenant conscience d’une façon, plus physique, plus tangible. Notre vie au Québec n’est qu’une parmi tant d’autres. Je ne veux plus voir les autres par rapport à nous, mais envisager d’une façon plus globale la grande mosaïque terrestre. À présent, je comprends les touristes étrangers qui choisissent le Québec.

Après ce voyage, je me sens plus forte, plus expérimentée, et fière d’avoir vu et vécu beaucoup de choses que la plupart des gens ne vivront jamais.

Je ne relirai plus jamais Ben Jelloun ou un autre auteur marocain de la même manière. Jamais je n’entendrai prononcer le mot Maroc sans que cela veuille signifier quelque chose, sans que des images, des sons, des odeurs, des goûts et des anecdotes particuliers ressurgissent.

PAR PAMÉLA

mercredi 23 juin 2010

Sahara

Être à Marrakech avait tout de même un bon côté : nous pouvions, avec plus de facilité, organiser une excursion vers les dunes du Sahara. Notre choix s’arrêta sur l’agence Sahara expédition, qui nous fut chaudement recommandée par le personnel de l’hôtel où nous logions.

Ainsi, pour environ 850 dirhams (soit à peu près l’équivalent de 100 dollars canadiens), nous nous permîmes un périple de 3 jours/2 nuits en demi-pension vers le village de Merzouga, situé à moins d’une heure en voiture du désert limitrophe avec l’Algérie.

Très tôt le premier jour, un minibus vint nous chercher, ainsi que nos bagages, à l’hôtel. À l’intérieur, sept autres touristes pour partager l’espace avec nous : deux Marocains de Rabat, trois Espagnols, ainsi qu’une vieille dame japonaise et sa fille. Ironiquement, nous devînmes ce que, tout au long du voyage, nous avions tourné en dérision : un groupe de touristes! Néanmoins, à dix personnes au total, le plaisir de l’excursion n’en fut pas pour autant amoindri. Au contraire, il fut même agréable de pouvoir partager un moment aussi unique avec sept autres personnes de cultures différentes.

La première journée nous amena à visiter plusieurs lieux et paysages extraordinaires du Maroc. Tout d’abord, une visite à la Casbah d’Aït Ben Haddou, site classé au patrimoine de l’UNESCO, et qui fut restaurée pour le tournage hollywoodien du célèbre Jésus de Nazareth de Franco Zeffirelli, avec Robert Powell. Vue de l’extérieur comme de l’intérieur, l’ancienne casbah donne l’impression d’un immense château de sable qu’on aurait moulé sur la plage. Il est impressionnant de grimper jusqu’à son sommet, et d’admirer la vue de son centre ainsi que la nouvelle casbah construite tout près.



Cette journée, nous passâmes également par Ouarzazate (et la Casbah qui servit de tournage aux films Star Wars), avant de poursuivre notre route vers les magnifiques gorges du Dades et, finalement, y passer la nuit dans une chambre d’hôtel remarquable.

Notre périple se poursuivit le lendemain au travers de l’imposant Atlas, que nous parcourûmes en altitude élevée. Nous fîmes également un arrêt dans un village au mode de vie traditionnel, où l’on nous invita à visiter une fabrique artisanale de tapis berbères. La rencontre fut chaleureuse, et il a été agréable d’observer une Marocaine (puisque ce travail est traditionnellement réservé aux femmes) travailler la laine pour ensuite tisser, selon plusieurs techniques, des tapis de toutes sortes.

Mais ce fut en arrivant à Merzouga que le voyage prit une autre tournure. Nous nous dirigions enfin vers les dunes du Sahara! Enfin, nous allions nous mesurer au désert, comme nous en avions rêvé depuis deux ans! Toutefois, et même si j’étais maintenant à 45 minutes de mon expédition de rêve, je fus stupidement embêtée par des pensées d’ordre pratique et hygiénique : aurai-je besoin de me cacher loin derrière les dunes pour faire mes besoins? Faut-il que j’apporte du papier de toilette? Pourrai-je me brosser les dents? Que dois-je apporter? Il fait très chaud, pourrai-je me changer, au moins le haut du corps?

J’imagine que ces tracas anodins disparurent complètement à la vue lointaine, mais grossissante des dunes. Nous fûmes un bon moment à rouler sur une petite route déserte. Puis, au beau milieu de nulle part, notre minibus quitta la route pour s’aventurer en ligne droite sur une terre aride et plate, faite de pierres sèches et de sable tapé. Ce que nous prîmes tout d’abord au loin pour des montagnes se révéla, à mesure que le minibus pénétra dans le désert, des montagnes de sable! La scène fut pour moi irréelle. Et je ne saurais bien rendre, par les mots, le sentiment qu’on peut éprouver lorsqu’on se retrouve devant un tel paysage. Je me rappelle d’ailleurs avoir retourné le mot irréel plusieurs fois dans mon esprit. C’est que je fus totalement bouche bée et émue. Il est donné à tous de pouvoir imaginer un désert fait de dunes ondulantes, mais de se retrouver devant cette merveille de la nature, de voir ses limites physiques et d’avoir parcouru des centaines de kilomètres afin d’arriver jusqu’à elles est tout simplement… irréel. Lorsqu’en sortant du bus les autres s’affairaient à préparer leurs bagages, moi je ne pouvais faire autrement que de rester béante devant cette beauté d’une grandeur impossible.



J’ai été placée en tête de file, à dos de dromadaire. Quelle chance! Perchée solidement sur mon remarquable porteur, je n’avais dans mon champ d’horizon que nos deux guides et l’immensité du désert. Du sable, une mer de sable chaud à perte de vue.



La ballade dura 1h30, mais parut courte, malgré le fait que le dromadaire n’est assurément pas le moyen de transport le plus confortable. Au pied d’une immense dune, un bivouac avait été installé pour nous permettre de passer la nuit. Nous prîmes quelques instants pour assister au coucher du soleil puis, la nuit tombée, nous nous sommes réunis, assis sur des tapis et autour d’une table basse, afin de partager un copieux repas de tajine de poulet avec pain berbère, et melons pour dessert. La soirée fut faite d’échanges, de chants et de tams-tams berbères.

Voyant que nous avions tous les yeux rivés vers le ciel, notre guide, Yassine, nous mena un peu plus loin, au sommet d’une dune, afin d’admirer la splendeur du ciel étoilé. Et nous restâmes ainsi un bon moment, étendus sur le sable, à observer le ciel le plus étoilé qu’il nous ait été donné à voir.

Cette nuit-là, malgré l’excitation, l’inconfort, la sensation d’être vraiment très sale, le désir de vouloir passer le plus de temps éveillé dans ce lieu, je ne pus repousser le sommeil et je dormis très bien.

Je sais que je retournerai dans le désert. Cette fois, plus longtemps.    

PAR PAMÉLA

Le sablier au temps interrompu

En partant de Marrakech, nous faisons deux jours de route en compagnie d’un groupe de dix personnes qui réunit 20 différentes cultures. Vingt heures de minibus en tout.

Et nous y voilà, en face du désert!

Le désert, nu, gigantesque, et silencieux. Juste à la frontière du désert, de l’auberge avoisinant cette terre d’ocre, je sens déjà toute la sagesse qui émane du vent et transporte le sable du Sahara.

Pour pénétrer ce périmètre sacré, il faut chevaucher un dromadaire. Chevaucher, ou dromader, c’est selon.

Et nous nous mettons en route. Nous dromadons.





La contemplation à distance du désert est une sensation très prenante. Celle de se retrouver à dos de dromadaire est grisante. Mais la sensation la plus forte nous prend lorsqu’on se retrouve réellement dans le désert; lorsqu’il n’y a que cette terre d’ocre, et que l’horizon est anéanti. Qui aurait imaginé que le vide, ou plutôt l’impression du vide, pouvaient être aussi fascinants!

Le monde n’existe pas ici. Le temps s’est arrêté. Il n’y a que du sable qui se déplace au gré du vent, et le Soleil qui brille dans toute sa gloire.

Puis il y a nous, à dos de dromadaire, passagers illicites du vide.

Le soleil frappe le sable et accentue les arabesques formées par les ombres laissées par le passage du vent dans le sable.

Le désert est le seul endroit où le vent laisse des ombres, comme une empreinte naturelle sculptée dans le sablier du temps.

À côté de nous, j’observe mon ombre qui chevauche à mes côtés à dos de dromadaire. On dirait un hiéroglyphe gravé dans une pyramide égyptienne, une ombre arabesque ambulante qui ne laisse aucune empreinte dans le temps. Pour le désert, je suis une donnée éphémère.

Après une heure à dromader, nous arrivons au campement. L’intérieur de mes cuisses me fait mal. À l’extérieur du désert, il est passé dix-neuf heures, heure du Maroc. Le soleil va bientôt se coucher. Alors, nous laçons dans l’escalade d’une énorme butte de sable pour être les témoins privilégiés du coucher du soleil dans le désert du Soleil couchant.

Mais sur dix personnes, sept ont abandonné. Seuls Jérémie, un Français et moi avons réussi à nous rendre en haut de la butte de sable, mais sans jamais en atteindre le sommet qui lui est…Dieu seul sait où.

Avec orgueil et détermination, nous nous asseyons sur la butte géante, exténués. Le désert est redoutable. Il vaut mieux ne pas le confronter. Je suis néanmoins fier de moi. Du haut de ce trône de sable, je vais pouvoir prendre d’excellentes photos du coucher du soleil.

Ou plutôt je n’en prendrai pas : j’ai oublié l’appareil photo dans la tente. Tant pis, je ne redescends pas maintenant! Je me repose.

Le coucher du soleil est magnifique! Nous apercevons toutes les couleurs de l’arc-en-ciel alignées au-dessus de nous. Et nous observons littéralement le soleil tomber derrière une butte de sable gigantesque.

Et la nuit fut.

Le silence est ici puissant. Il s’agit du véritable silence. À quoi ressemble le son du véritable silence? Il ressemble à un bourdonnement d’oreilles, un acouphène douceâtre, ou alors au sang qui palpite dans nos tympans.

Nous retournons au campement. Assis en rond, nous partageons le repas : un énorme tagine au poulet, succulent, préparé par notre guide du désert, un jeune Berbère nommé Yannisse. Vient ensuite une soirée selon la tradition berbère : tam-tam, chants et plaisir simple partagé entre Berbères, Marocains, Espagnols, Français et Québécois. Il y a même des chats qui se nourrissent de petites bestioles qui nous incommodent. Nous appartenons tous à des cultures différentes, mais nous coexistons. Il n’y a plus de frontières entre les langues et cultures. C’est la Tour de Babel que nous érigeons ici, dans le Sahara.


Jérémie semble avoir une érection certaine en parlant de Boule de suif.




Passé minuit, tout le monde se replie dans sa tente pour le sommeil. Nous nous réveillons dans moins de six heures. Mais je reste à l’extérieur, couché sur le sol. Impossible de dormir sous un toit lorsque la nuit du désert m’offre le spectacle d’une telle dissémination d’étoiles. Je n’ai jamais vu autant d’étoiles à la fois!

Tout est inerte autour, sauf le vent qui souffle de plus en plus fort. Deux énormes couvertures lourdes et chaudes me cachent du froid. Le silence est gâché par des ronflements qui filtrent les murs de toile de chaque tente qui m’entoure. Je peux presque reconnaitre la nationalité de chaque ronflement!

Je suis seul, en compagnie des chats du désert qui tournent autour de moi. Ils font d’étranges sons composés de trois syllabes.

Et au-dessus, des millions d’étoiles. J’ai vraiment l’impression de m’être extirpé de la temporalité. Dans le sablier interrompu, recouvert de millions d’étoiles situées à des années-lumière.

À Montréal, il m’est souvent arrivé de dormir à la pauvre étoile. Mais ici, il s’agit véritablement de dormir aux belles étoiles!

Dormir? Enfin, je n’ai pas vraiment dormi. Il s’agit plutôt d’une nuit blanche sous les étoiles du Sahara.

Ce moment figé dans l’infini où j’ai goûté à l’intemporalité.

Par Éric

lundi 21 juin 2010

Déception à Marrakech

Nous débarquons à Marrakech la tête remplie d’images et d’attentes positives. Enfin, la fameuse Marrakech : ville avec sa grande place Djemaa el-Fna, ses souks, ses amuseurs de rue, etc.

Mais voilà, les quelques heures consacrées à parcourir ses rues ont suffi pour nous révéler la supercherie de cette ville. Marrakech est un décor pour touristes, une version proprette et bien mise du Maroc. Rien n’y est authentique; tout semble être une mise en scène, comme si la ville se couvrait d’un masque afin de plaire aux touristes frileux et aisés.



Évidemment, tout est plus cher. Le jus d’orange acheté sur la rue qui, jusqu’ici, avait toujours coûté 3 dirhams en coûte maintenant plus de 10. Le prix de la chambre d’hôtel et des repas s’est radicalement élevé.
Marrakech, ville riche, ville de touristes, ville de touristes riches.

Ville écrasée, étouffée par la modernité. Ville qui s’est perdue.


De Marrakech, je garde le souvenir du nombre effarant de touristes et d’autobus de touristes, l’omniprésence de boutiques et de restaurants de luxe, l’image de femmes au voile intégral vendant de gros ballons d’anniversaire sur la place publique, l’agressivité des commerçants, marchands et amuseurs sur la place Djemaa el-Fna.
C’est dommage de constater à quel point, en comparaison avec les autres lieux que nous avons visités, Marrakech est une ville qui s’est vendue.



PAR PAMÉLA

Le Maroc dans toute sa théâtralité

Je hais Marrakech.

Le paysage de Marrakech est comme un studio hollywoodien représentant une image exotique du Maroc pour les touristes; c’est le Maroc dans toute sa théâtralité.

Les rues sont parsemées de touristes, mais pas le type de touriste curieux et assoiffé d’expériences. Ici, la ville surabonde de touristes qui voient dans le voyage l’occasion de vacances : deux semaines à tuer le temps dans un autre pays qui ressemble vaguement au nôtre et qui offre un superficiel dépaysement.



Et lorsqu’on ne se bute pas à l’un de ces touristes, on tombe sur des Marocains, gamins ou vieillards, qui essaient de nous vendre des objets inutiles – un chapeau de plastique blanc crasse, un paquet de mouchoirs, etc. – ou qui essaient de vous soutirer un euro. Leur répéter que nous sommes étrangers à la monnaie euro, n’y change rien : ils vous courent après jusqu’à ce que vous puissiez entrer dans une transe complète qui vous entoure dune bulle de silence et que vous en veniez à oublier qu’on vous poursuit en criant le mot « euro ».

Saviez-vous qu’il n’y a pas de classe moyenne au Maroc, mais seulement une classe riche et une classe pauvre? Et que la majorité de la population appartient à la classe pauvre, dont le revenu est en moyenne que dix dirhams par jours, soit à peine huit dollars canadiens?

Au Maroc, le tourisme contribue largement au roulement économique. Cela se voit particulièrement à Marrakech, où on se croirait parfois dans une foire.

Nous avons trouvé ici  un dompteur de serpent qui vous enroule un serpent autour du cou et qui essaie de vous pendre en photo avec pour vous soutirer cent cinquante dirhams. Je ne lui en ai laissé que dix; en retour, il m’a arraché furieusement mon cornet des mains et l’a lancé à ses écureuils aux regards maléfiques. Ce dompteur de serpent est un très mauvais dompteur de touriste sauvage.



C’est vrai. J’ai oublié que je suis un touriste.

Ce que je hais Marrakech!

Heureusement, nous ne faisons que passer. Nous sommes à Marrakech pour préparer une expédition dans le désert du Sahara.

Une journée à Marrakech suffit. Nous en avons passé une et demie. C’est trop!

PAR ÉRIC

dimanche 20 juin 2010

Meknès

Nous étions mus par l’intention de visiter la cité sainte de Moulay Idriss, ainsi que les ruines romaines de Volubilis, lorsque nous nous sommes installés à Meknès, une ville plutôt moderne, située à 45 minutes en train de la gare de Fès. De Meknès, il est possible de prendre un taxi collectif (c’est-à-dire, partager un grand taxi avec un maximum de 5 personnes) afin de se rendre jusqu’à l’une des deux cités, et ce, pour un faible coût. Comme la distance entre les deux sites est raisonnable, il peut être intéressant de faire ensuite le parcours à pied, et d’ainsi profiter du magnifique paysage montagneux de la région.



Comme nous n’avons passé, en tout, qu’une journée et demie à Meknès, j’éprouve de la réticence à en parler et à y porter un jugement. Nous n’avons vu, en fait, qu’une partie de la ville nouvelle (le secteur tout près de la gare, où nous logions) et de la médina. Je garde cependant, de la ville, une vision des deux extrêmes. D’une part, Meknès semble accorder une grande importance à la conservation de la tradition. Par exemple, le mausolée du sultan Moulay Ismail ainsi que la grande place datant du XVIIe siècle sont mis de l’avant et se dévoilent comme les fiertés de la ville. Plusieurs musées et coopératives présentent des collections d’objets anciens, travail du bois et maroquineries diverses. Et sinon, en guise de signe extérieur et quotidien de l’ancrage dans la tradition, de nombreuses femmes portent le voile intégral.

D’autre part, Meknès est une ville très moderne, très occidentalisée. Les jeunes Marocains et Marocaines portent jeans, polo de marque, t-shirt moulant, etc. On retrouve, dans la médina, davantage de produits américains et chinois que de produits locaux. On dénote un nombre anormalement élevé (pour un pays musulman) de bars et d’endroit où l’on sert de l’alcool.



Cette cohabitation entre la modernité et la tradition n’est pas propre qu’à Meknès. Seulement, il semble qu’elle y soit poussée à son paroxysme, et il en résulte une atmosphère étrange de contrastes et de dichotomie.

Du reste, mes observations sur Meknès s’arrêtent ici, puisque toute autre tentative de jugement serait prématurée.

Pour ce qui est de la visite des deux cités, elle fut bien sûr formidable.

Moulay Idriss, cité renfermant le mausolée du saint islamiste éponyme, est le 5e lieu de pèlerinage musulman le plus important au monde. Elle fut surtout, pour les touristes occidentaux que nous sommes, un village montagnard accueillant et paisible. En grimpant par les chemins étroits et blancs de cette belle médina, nous pûmes admirer la vue spectaculaire qui s’offrait à nous. Ce lieu reculé du monde, où l’air est pur et où les gens sont chaleureux, est un endroit idéal pour se ressourcer, combattre le temps et mettre sur pause une vie (ou, dans notre cas, un voyage) effrénée.

La visite de l’ancienne cité romaine Volubilis fut autrement intéressante. Ce fut, pour moi, un premier contact tangible avec le monde ancien, ainsi qu’avec ce type de site historique. Pouvoir marcher entre ce qui fut, il y a des décennies, les rues et la grande place d’une ville romaine, et encore pouvoir en admirer la beauté architecturale et celle des mosaïques fut une expérience enrichissante.

Cette fin de journée épuisante nous amène donc à continuer de suivre les traces de Ben Jelloun, vers la grande Marrakech.

PAR PAMÉLA