Jérémie, Paméla et Éric

Présentation du blogue

Nous sommes deux finissants du profil Lettres du cégep Marie-Victorin, Éric Veilleux et Paméla Brossard Déraspe, et ce blogue, qui prendra la forme de carnets de voyage, rend compte de notre expérience au Maroc, dans le cadre d'un voyage d'immersion culturelle. Au cours du dernier trimestre, nous avons étudié en profondeur l'oeuvre de l 'écrivain marocain Tahar Ben Jelloun et avons créé un dossier complet ( http://lettres.collegemv.qc.ca/?page_id=24). Dans le blogue, vous lirez nos textes qui raconteront non seulement notre première expérience au Maroc, mais aussi notre première expérience de voyageurs, guidés par un de nos professeurs de Lettres, Jérémie Lévesque, qui nous accompagne. Nos textes, inspirés par l'instant, la découverte et l'imaginaire, feront écho à notre lecture des romans de Tahar Ben jelloum, et particulièrement ses romans qui ont pour décor Fès, Tanger, Marrakesh.

mercredi 23 juin 2010

Le sablier au temps interrompu

En partant de Marrakech, nous faisons deux jours de route en compagnie d’un groupe de dix personnes qui réunit 20 différentes cultures. Vingt heures de minibus en tout.

Et nous y voilà, en face du désert!

Le désert, nu, gigantesque, et silencieux. Juste à la frontière du désert, de l’auberge avoisinant cette terre d’ocre, je sens déjà toute la sagesse qui émane du vent et transporte le sable du Sahara.

Pour pénétrer ce périmètre sacré, il faut chevaucher un dromadaire. Chevaucher, ou dromader, c’est selon.

Et nous nous mettons en route. Nous dromadons.





La contemplation à distance du désert est une sensation très prenante. Celle de se retrouver à dos de dromadaire est grisante. Mais la sensation la plus forte nous prend lorsqu’on se retrouve réellement dans le désert; lorsqu’il n’y a que cette terre d’ocre, et que l’horizon est anéanti. Qui aurait imaginé que le vide, ou plutôt l’impression du vide, pouvaient être aussi fascinants!

Le monde n’existe pas ici. Le temps s’est arrêté. Il n’y a que du sable qui se déplace au gré du vent, et le Soleil qui brille dans toute sa gloire.

Puis il y a nous, à dos de dromadaire, passagers illicites du vide.

Le soleil frappe le sable et accentue les arabesques formées par les ombres laissées par le passage du vent dans le sable.

Le désert est le seul endroit où le vent laisse des ombres, comme une empreinte naturelle sculptée dans le sablier du temps.

À côté de nous, j’observe mon ombre qui chevauche à mes côtés à dos de dromadaire. On dirait un hiéroglyphe gravé dans une pyramide égyptienne, une ombre arabesque ambulante qui ne laisse aucune empreinte dans le temps. Pour le désert, je suis une donnée éphémère.

Après une heure à dromader, nous arrivons au campement. L’intérieur de mes cuisses me fait mal. À l’extérieur du désert, il est passé dix-neuf heures, heure du Maroc. Le soleil va bientôt se coucher. Alors, nous laçons dans l’escalade d’une énorme butte de sable pour être les témoins privilégiés du coucher du soleil dans le désert du Soleil couchant.

Mais sur dix personnes, sept ont abandonné. Seuls Jérémie, un Français et moi avons réussi à nous rendre en haut de la butte de sable, mais sans jamais en atteindre le sommet qui lui est…Dieu seul sait où.

Avec orgueil et détermination, nous nous asseyons sur la butte géante, exténués. Le désert est redoutable. Il vaut mieux ne pas le confronter. Je suis néanmoins fier de moi. Du haut de ce trône de sable, je vais pouvoir prendre d’excellentes photos du coucher du soleil.

Ou plutôt je n’en prendrai pas : j’ai oublié l’appareil photo dans la tente. Tant pis, je ne redescends pas maintenant! Je me repose.

Le coucher du soleil est magnifique! Nous apercevons toutes les couleurs de l’arc-en-ciel alignées au-dessus de nous. Et nous observons littéralement le soleil tomber derrière une butte de sable gigantesque.

Et la nuit fut.

Le silence est ici puissant. Il s’agit du véritable silence. À quoi ressemble le son du véritable silence? Il ressemble à un bourdonnement d’oreilles, un acouphène douceâtre, ou alors au sang qui palpite dans nos tympans.

Nous retournons au campement. Assis en rond, nous partageons le repas : un énorme tagine au poulet, succulent, préparé par notre guide du désert, un jeune Berbère nommé Yannisse. Vient ensuite une soirée selon la tradition berbère : tam-tam, chants et plaisir simple partagé entre Berbères, Marocains, Espagnols, Français et Québécois. Il y a même des chats qui se nourrissent de petites bestioles qui nous incommodent. Nous appartenons tous à des cultures différentes, mais nous coexistons. Il n’y a plus de frontières entre les langues et cultures. C’est la Tour de Babel que nous érigeons ici, dans le Sahara.


Jérémie semble avoir une érection certaine en parlant de Boule de suif.




Passé minuit, tout le monde se replie dans sa tente pour le sommeil. Nous nous réveillons dans moins de six heures. Mais je reste à l’extérieur, couché sur le sol. Impossible de dormir sous un toit lorsque la nuit du désert m’offre le spectacle d’une telle dissémination d’étoiles. Je n’ai jamais vu autant d’étoiles à la fois!

Tout est inerte autour, sauf le vent qui souffle de plus en plus fort. Deux énormes couvertures lourdes et chaudes me cachent du froid. Le silence est gâché par des ronflements qui filtrent les murs de toile de chaque tente qui m’entoure. Je peux presque reconnaitre la nationalité de chaque ronflement!

Je suis seul, en compagnie des chats du désert qui tournent autour de moi. Ils font d’étranges sons composés de trois syllabes.

Et au-dessus, des millions d’étoiles. J’ai vraiment l’impression de m’être extirpé de la temporalité. Dans le sablier interrompu, recouvert de millions d’étoiles situées à des années-lumière.

À Montréal, il m’est souvent arrivé de dormir à la pauvre étoile. Mais ici, il s’agit véritablement de dormir aux belles étoiles!

Dormir? Enfin, je n’ai pas vraiment dormi. Il s’agit plutôt d’une nuit blanche sous les étoiles du Sahara.

Ce moment figé dans l’infini où j’ai goûté à l’intemporalité.

Par Éric

4 commentaires:

  1. Bonjour!

    Merci pour ce voyage que vous me faites (re)vivre à distance! C'est avec un grand plaisir que je lis vos textes (même si ça m'a pris du temps à vous répondre). En vous lisant, je revois des images, je sens des odeurs (la viande en effet), j'entends les bruits de la ville et le silence du désert. Les étoiles! J'en voudrais des comme ça à Montréal. Profitez bien du temps qu'il vous reste et du thé à la menthe.
    En passant : Coup de coeur pour le verbe "dromader"! Et pourquoi Jérémie parlait-il de Boule de suif (que j'aime bien moi aussi d'ailleurs, sans l'érection vous avez deviné)?

    Au plaisir
    Elisa

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  2. «Je crois que j'ai dormi parce que je me suis réveillé avec des étoiles sur le visage.»
    «... devant cette nuit chargée de signes et d'étoiles, je m'ouvrais à la tendre indifférence du monde.»
    Eh oui, encore Camus!!!
    Tu as l'air d'un Meursault perdu dans le désert. Ça te va assez bien.

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  3. Merci pour ton commentaire, ma chère M'dame Elisa!
    Jérémie parlait constamment de BOULE DE SUIF car il aimait la comparaison entre les personnes de différentes classe sociale dans la nouvelle et ceux des différentes cultures dans notre groupe.
    Moi aussi j'aime bien BOULE DE SUIF [ironiquement, c'est ma dernière lecture avant de prendre l'avion vers le Maroc!], seulement, pas au point d'avoir l'érection que Chérémie avait!

    Tu sais que j'ADORE ton commentaire M'sieur GUylY-GUYly! Toi aussi tu trouves que ça me va bien l'image de Meursault!
    Merci encore!!

    siNGé: Éric Meursault

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  4. Ah ah ah ah... Bandé en parlant de Boule de Suif !

    Jérémie

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