Jérémie, Paméla et Éric

Présentation du blogue

Nous sommes deux finissants du profil Lettres du cégep Marie-Victorin, Éric Veilleux et Paméla Brossard Déraspe, et ce blogue, qui prendra la forme de carnets de voyage, rend compte de notre expérience au Maroc, dans le cadre d'un voyage d'immersion culturelle. Au cours du dernier trimestre, nous avons étudié en profondeur l'oeuvre de l 'écrivain marocain Tahar Ben Jelloun et avons créé un dossier complet ( http://lettres.collegemv.qc.ca/?page_id=24). Dans le blogue, vous lirez nos textes qui raconteront non seulement notre première expérience au Maroc, mais aussi notre première expérience de voyageurs, guidés par un de nos professeurs de Lettres, Jérémie Lévesque, qui nous accompagne. Nos textes, inspirés par l'instant, la découverte et l'imaginaire, feront écho à notre lecture des romans de Tahar Ben jelloum, et particulièrement ses romans qui ont pour décor Fès, Tanger, Marrakesh.

jeudi 24 juin 2010

D’un désert à l’autre

« De si loin que l’on revienne, ce n’est jamais que de soi-même. » -- Tahar Ben Jelloun

Il est presque dix heures du matin. Je viens de terminer ma dernière bouteille de vin.
Nous sommes revenus hier soir. L’arrivée aux douanes canadiennes enlève catégoriquement le goût de revenir au pays.

Malgré le brusque retour au quotidien québécois, je ne peux qu’être ému d’avoir fait un tel voyage.

Quelle expérience ce fut!

Ne me demandez pas quelle est ma ville préférée parmi celles que nous avons visitées. Je suis certain que mes deux compagnons vont être d’accord pour dire qu’elles sont toutes magnifiques – excepté Marrakech! N’allez pas à Marrakech! Allez plutôt visiter le Maroc authentique, qui n’a pas vendu sa part de tradition au profit d’une modernité touristique un peu fausse : la médina de Fès et ses maux de tête, Tanger et l’air frais de la mer, Moulay Idris et sa chaleur humaine, Volubilis et sa sagesse historique, Casablanca et son chaos. Allez au Maroc pour goûter les épices et boire le jus d’orange! Quel délice!

Quelle expérience!

Et quel peuple accueillant!

Mais ce qui est intéressant de remarquer, c’est qu’ils savent apprécier les petits services banals. Sourire aux lèvres, ils vous regardent dans les yeux – d’un regard direct peu commun au Québec – et dévoilent un visage ému. Ils penchent légèrement la tête vers l’avant en signe de salutation, placent la main droite sur le cœur et vous remercient.

C’est l’amour qui va droit au cœur!

Au-delà du tourisme et de l’économie, la majorité des Marocains savent reconnaitre, apprécier et donner l’amour. Même lorsqu’ils négocient, il est question d’amour et d’échange; celui d’un amour universel qu’on offre à l’autre.

Toute ma vie, j’ai recherché des gens pouvant apprécier et recevoir l’amour sans se gêner pour l’exprimer. Étrangement, c’est en tant qu’inconnu dans un autre pays que je les ai trouvés. La Terre est si petite. Instinctivement, j’ai toujours cru que l’individu dépend de son contexte sociohistorique. Maintenant, je le crois plus que jamais.

Ce voyage a été une bénédiction pour moi et m’a beaucoup soulagé! Il y a longtemps que je n’avais pas laissé exprimer cette humanité étouffée en moi, obstruée par la déception.

À présent, je m’enfouis à nouveau dans le quotidien. Cela s’est amorcé à l’aéroport de Paris, lorsque j’ai entendu une voix étrangère dire « St’é-CŒUR-ant! » avec un fort accent québécois.

Et maintenant, je suis de retour. Je n’arrive pas à croire que je suis sorti du désert pour aboutir dans un « spleen village » de la Rive-Sud de Montréal.

Je n’arrive pas à croire qu’un monde vibre à l’autre bout de l’océan alors que je n’y suis pas.

Je n’arrive pas à croire qu’après-demain, je vais enfiler un uniforme d’ouvrier et un casque de construction pour suer dans une usine, travailler douze heures par jour ou par nuit, n’être rien d’autre qu’une simple étape de plus sur la ligne de production d’une usine; que je serai de la chaire à production; et que je sentirai se développer mon mal de dos qui s’accentue d’été en été.

Je me souviens lors de notre première nuit à Casa. J’avais très mal dormi en raison de ma douleur au dos. Le lendemain, ce mal a disparu. Et il n’est plus revenu… jusqu’au retour du désert. C’est que je sentais la fin du voyage approcher. J’ai mal au dos depuis. Je sens le mal du quotidien me grimper le long de colonne vertébrale, et pourrir mon cerveau. J’entends déjà le réveille-matin. Je me vois déjà au travers des gens pressés sur les rues.

Je me souviens de ce proverbe berbère que j’ai cité dans un autre texte : « Les gens pressés sont déjà morts. » Ce sont les mots de sagesse prononcés par ce cher Abdul, notre guide.

C’est notre monde.

Ici, je ne vois plus que la télévision et ses nombreuses chaines, qui ont enfanté une génération d’enragés qui zappent leur vie sur le petit écran. La poutine dans un gigantesque « M » jaune. Le smog. Le bruit des voitures modifiées et ultraperformantes. La masturbation et la pornographie sur Internet. Les bars de nuit avec la faune qu’elle abrite : des yuppies et des pouffiasses qui recherchent une baise à usage unique. L’alcool à profusion, les soirs de beuverie et avec eux la course aux dépanneurs avant 23 h.

La pollution lumineuse et les nuits sans étoiles. Les passants qui vous ignorent dans les rues. Les gens qui, dans une conversation, sont plus préoccupés par leur égo que par l’échange et par le souci d’une conversation engagée, tant sur le plan sentimental que social.

Ici, le silence me semble artificiel : il faut fermer sa gueule, car les gens ne savent pas discuter, ni écouter. C’est le règne de l’individualisme de la déshumanisation et du cynisme.

La déshumanisation et le cynisme…
C’est ça notre désert : un désert abyssal.

Lorsque j’étais gamin et que j’habitais Saint-Henri, j’étais toujours ému par les paysages : une rue déserte; le panneau publicitaire d’un dépanneur éclairant la nuit; la vue lointaine du Mont-Royal qui survolait le quartier. Je rêvais de pouvoir me fondre au paysage pour devenir le paysage même.

Mais maintenant – après le Maroc et ses palmiers, ses arabesques, son mont Atlas, son désert – j’ai envie de mordre le paysage. De le croquer. De le goûter. De l’avaler.

D’être un géant pour pouvoir me rouler sur les collines et sur les arbres.
De pouvoir goûter une partie de l’intemporalité que ma condition d’être humain ne me permet pas.
Je voudrais être une falaise qui s’écroule et couvrir pendant des siècles un lieu qui deviendrait secret et oublié.
Je voudrais être le trou noir d’une caverne située dans les hauteurs des monts Atlas.
Je voudrais être une plume qui traverse le ciel en accompagnant l’aile d’un oiseau.
Je voudrais être un nuage qui flotte entre la Terre et l’infini, qui nourrirait l’imagination d’un enfant et qui laisserait tomber sa pluie sur tous les pays du globe.
Je voudrais être une goutte de pluie acide qui ravage une rare feuille verte d’une ville industrielle et laisser la terre vaincue et dévastée.
Je voudrais être le projectile d’une arme à feu qui pénètre le crâne d’un panda et être le dernier témoin de tous les animaux disparus et en voie de disparaitre pour des causes non naturelles, mais artificielles.
Je voudrais être une étendue d’eau polluée qui s’évapore pour retourner vers les nuages.
Je voudrais être un nuage sombre contenant l’eau colérique et déverser toute ma rage sur le sommet des plus hautes montagnes.
Je voudrais être une falaise qui s’écroule sous un oiseau qui reprend son envolée… et recommencer éternellement…

Par Éric

2 commentaires:

  1. Wow. Quelle envolée après tant d'amertume... C'est vrai que le retour doit être dur, particulièrement pour toi éric, qui rentre à l'usine... courage et pense au prochain voyage...

    Jérémie Ali Baba

    RépondreSupprimer
  2. C'est vrai que c'est un peu comme ça à Montréal. Par contre, il est possible d'être bohème dans toute ville pourvu qu'on savent dépenser son argent avec prudence et qu'on soit prèt à faire des sacrifices d'ordre matériel. Dans mon cas, ma frugalité retrouvé ne me fais pas regretter mon passé de consommateur effréné! Au contraire, je prend le temps de vivre, de boire du thé à profusion et de lire tout les livres de la bibliothèque pendant l'été. Quand le cégep va commencer le 25 août je vais être frais et dispo pour une nouvelle session!

    Mais j'oublirai jamais les années à la manifacture de vêtement ou je travaillais. Lâche pas!

    Pierre

    RépondreSupprimer